Par le "collectif des jeunes Bulgares de Paris",
Radost Zaharieva, Diana Ivanova, Nikolai Angelov, Dimitar Angelov
Depuis plusieurs jours la Bulgarie connaît une flambée de violences interethniques entre Rroms et non-rroms. La Bulgarie a déjà connu cette situation en 2011 avec un mouvement populaire commencé la nuit du 23 au 24 septembre 2011 dans le village de Katunica[1], qui a vite gagné ensuite d’autres villes comptant une population rrom importante telles que Sofia, Plovdiv, Varna, Burgas, Pleven, Ruse, Pazardzhik, Stara Zagora. Ces manifestations en 2011 comme les manifestations racistes actuelles, avaient été accompagnées de chants et propos racistes et de violences physiques contre les Rroms. Les événements de Katunica précédaient des élections en 2011, et ont été provoquées et instrumentalisées à des fins électoralistes par certains partis politiques, dont les partis d’extrême-droite, mais aussi par des partis dits progressistes en ce que cela leur permettait de se présenter comme protecteurs, pour mobiliser les électeurs issus des minorités.
"Les événements de Katunica précédaient des élections en 2011, et ont été provoquées et instrumentalisées à des fins électoralistes par certains partis politiques, dont les partis d’extrême-droite"
Coïncidence ou non, avec l’approche des
élections locales en 2015 la Bulgarie vit de nouveau le cauchemar[2] de
« Katunica », mais cette fois à Garmen[3]
(24 mai) et dans le quartier d’Orlandovsti à Sofia, le 13 et le 14 juin
dernier, qui a été qualifié
d’« état de siège ». Des
agresseurs armés s’y sont présentés visant les personnes d’origine rrom. Les victimes sont des adultes, tout comme des enfants[4].
Les habitants rroms du village de Garmen ont tenté d’entamer un dialogue avec
les agresseurs afin d'apaiser la situation, ce qui a été refusé. Le nombre des personnes agressées et
hospitalisées n’a pas été communiqué par les autorités bulgares. Une trentaine de personnes ont été
arrêtées par la police, puis relâchées. Pour l’instant il n’y a pas de
personnes accusées ou condamnées pour des violences raciales.
"Anna Vitanova, une policière de Varna, n’hésite pas à utiliser les réseaux sociaux pendant les manifestation en diffusant des messages anti-rroms comme « si tu es "bronzé" tu brules »"
Selon
la position officielle du ministère de l’intérieur il n’y a pas eu de trouble
sérieux à l’ordre public et il ne s’agit pas non plus d’un conflit
interethnique, mais d’un conflit de voisinage. Cependant les vidéos sur
internet montrent bien le contraire. Les slogans « Les tsiganes en
savon », « sales Rroms », « parasites » dominent les
manifestations et circulent ensuite sur la toile. L’information dans les média
nationaux montre que la police est présente sur place à Garmen et Orlandovsti,
mais cela n’empêche pas l’œuvre des agresseurs armés participant aux
manifestations. Sur certaines vidéos
on peut voir la pénétration des manifestants armés dans le quartier tsigane,
malgré les nombreux policiers présents sur place. Sur d’autres on voit les policiers tirer en l’air lorsque les esprits
sont calmes et agiter ainsi les groupes Anna
Vitanova, une policière[5] de Varna, n’hésite pas à utiliser les réseaux
sociaux pendant les manifestation en diffusant des messages anti-rroms comme « si tu es "bronzé" tu brules », messages ayant des
conséquences importantes sur la mobilisation des gens contre les Rroms.
Après
un semblant d'apaisement, le 20 juin[6],[7]
une famille a été attaquée de nouveau, cette fois dans un bus (transport en
commun) sous les yeux des voyageurs. Un père de famille rrom et ses deux fils
âgés de 17 ans, qui rentraient de l'église, ont été violemment tabassés par 4
hommes cagoulés et armés à cause de leur origine ethnique[8].
Les membres de la famille des victimes dénoncent la réaction de la police qui,
selon eux, n’a pas poursuivi les agresseurs qui ont pu ainsi continuer leur
trajet dans le même bus.
Qui
génère le conflit entre Bulgares rroms et non-rroms, qui cohabitent pourtant depuis des
siècles ?
Qu’est-ce
qu’il y a au fond de ces tensions interethniques ?
"ce qui donne ensuite un prétexte aux Bulgares non-rroms de demander leur expulsion totale du village "
En
effet, Bulgares rroms et non-rroms habitent ensemble depuis plus de 7 siècles,
même si parfois dans des quartiers séparés, comme c'est le cas aussi pour
d'autres communautés du pays. La perte d’emploi par les Rroms suite à la chute
de communisme a eu comme conséquence la ségrégation et l’exclusion sociale de
cette communauté. Le manque de revenu les a conduit dans une pauvreté extrême
provoquant le rejet de la société. Les
conditions difficiles dans le pays suite à la crise économique en 2009 ont fait
souffrir encore plus les Bulgares rroms, mais aussi les Bulgares non-rroms,
qui reprochent aujourd’hui à leurs
concitoyens rroms d’être à l’origine des difficultés économiques du pays en
percevant des aides sociales. Les relations entre les Bulgares rroms et non-rroms sont difficiles et peuvent
facilement déborder. Ainsi le conflit à Garmen a commencé suite à la décision
de la mairie de démolir les maisons des Rroms, ce qui donne ensuite un prétexte
aux Bulgares non-rroms de demander leur expulsion totale du village en accusant
les Rroms de vols. Le conflit d’Orlandovsti commence sous la forme de troubles
de voisinage et se transforme très vite en conflit interethnique.
Cette
tension entre les deux communautés est nourrie par la représentation négative des Rroms dans les
média nationaux, mais également par des personnes comme Boyan Rassate[RI4] [9],
leader des patrouilles civiles (une organisation paramilitaire), dont les
activités visent des minorités et sont considérées comme illégales. La
politisation et l’instrumentalisation de la misère des Rroms ont été dénoncées
par les victimes des agressions et par Ilia Iliev, député du parti DPS
(Mouvement des droits et des libertés), qui considèrent que les attaques sous
forme de manifestation sont une action organisée par des partis politiques
populistes et démagogiques visant ainsi à mobiliser les électeurs avant les
élections de septembre 2015.
"A cela s’ajoutent des agressions physiques, la haine et les violences raciales, qui ne semblent pas être reconnues comme telles par les autorités bulgares"
La
Bulgarie est un des principaux bénéficiaires des financements européens pour
l’intégration des Rroms suivant quatre axes généraux : la santé, l’emploi,
l’éducation et le logement. Malgré l’argent européen destiné à l’amélioration
des conditions de vie des Rroms, leur situation se dégrade de plus en plus. Les
habitants rroms de Garmen, comme ceux de
Stara Zagora [RI5] ,
se sont retrouvés à la rue suite à la
destruction de leurs maisons par les autorités locales sans aucune solution de
relogement et, donc, dans un état de dégradation accru. A cela s’ajoutent des
agressions physiques, la haine et les violences raciales, qui ne semblent pas
être reconnues comme telles par les autorités bulgares.
Aujourd’hui
nous nous opposons aux agressions faites aux Rroms en raison de leur origine
ethnique et nous condamnons les événements en Bulgarie.
Nous
demandons au gouvernement bulgare de prendre les mesures nécessaires pour la
protection des droits des minorités, une obligation que le pays a en tant que
membre de l’Union Européenne.
Nous
demandons également la protection des droits de l’Homme garantie par la
Convention européenne des droits de l’Homme, mais aussi par la Charte de
l’Union européenne des droits fondamentaux qui sont juridiquement contraignants
pour la Bulgarie en tant que membre du Conseil de l’Europe et de l’Union
européenne.
Nous
demandons au gouvernement bulgare de lutter efficacement contre les violences
raciales faites aux Rroms.
Nous
demandons au gouvernement bulgare de lutter contre le discours de haine à
l’égard des Rroms dans les médias bulgares.
Nous
demandons au gouvernement bulgare de prendre les précautions nécessaires afin
d’éviter l'escalade ou la répétition d’autres conflits de ce genre.
Enfin,
nous nous adressons à la société civile bulgare et française pour qu'elle
apporte son soutien moral aux victimes d’une instrumentalisation et la politisation
des questions sociales telles que le manque d’emploi et la pauvreté.
[1] la question rom ressurgit en Bulgarie (l'Express)
[2] Bulgarie, flambée de violence autour des ghettos roms (Courrier International)
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